Une semaine en Queyras .... ou le "CAF de Papa"

Le 07.02.2024, par HenripierreB-34e, 3 commentaires


LE CLUB ALPIN DE PAPA 

Dans la cheminée de la salle commune, deux gigots d’agneau pendus à des crochets cuisent devant un feu de bois qui crépite. Dessous, un plat recueille la graisse qui goutte plus lentement que la salive qui t’envahit la bouche. Cette promesse de délices est un extra, un gros supplément à la demi-pension, mais tout le monde est d’accord pour finir en beauté. Dernier soir de notre semaine de ski de rando à Cervières, hameau du Laus, 1745m, sous le col de l’Izoard, coté Briançon. Rentrés de la course vers 16 heures, en attendant le dîner, après une partie de tarot arrosée de bière et de grands rires, nous écoutons sagement nos chefs de course…, non, encadrants…, non, initiateurs, nous parler de fiches de compétence, que nous devrons remplir : composées de 3 thèmes, qui se fragmentent en une trentaine de questions et une multitude d’arrière-pensées, avec autoévaluation, validation externe et dieu sait quoi encore… Moins intéressant que savoir avec quoi sera servi le gigot. Avec des petits pois frais ou un gratin de pomme de terre ? C’est une vraie question, mais… hors débat. Je dois me concentrer sur le sujet. 40 ans après sa naissance, la déferlante managériale atteint le club. Elle me rappelle des réunions de chefs de service avec listes d’objectifs prioritaires, comptes rendus trimestriels d’activités et fiches de notation. Il fallait remplir des tableaux, faire des rapports, des bilans, justifier des effectifs et des crédits alloués pour des directeurs généraux qui refusaient de sortir de leurs bureaux mais voulaient faire sortir leurs troupes de leur routine. Bon, c’est vrai que des fiches de compétences peuvent être utiles. J’ai connu des erreurs de ‘casting’ : une ou plusieurs personnes ralentissant trop le groupe. N’allez pas croire que c’était le cas cette fois. A propos de routine, est-ce qu’avant le gigot, on va nous servir la soupe vespérale habituelle, je parle de la vraie, celle faite avec des légumes, pas avec des discours ? Notre table est déjà mise, 11 couverts, avec des assiettes plates plus grandes que normales. A mon avis il n’y aura pas de soupe… Revenons à nos moutons. Ce qu’ils veulent me faire rentrer dans le crâne, c’est que jusqu’à présent j’étais le couillon d’un club promène-couillons, un mouton de Panurge : 4 pattes, deux biologiques et deux métalliques, des patins aux pattes arrière à la place de sabots et rien dans le crâne.  ‘Un mouton de Panurge suit instinctivement ce que fait le plus grand nombre sans exercer son esprit critique ni seulement faire preuve de l’intelligence que l’on peut attendre d’un être humain.’(Wikipedia). Tout à fait moi, quoi ! Il y a vingt ans que je suis au Club. J’avais acheté un porte-carte, mais jamais ou presque mis une carte dedans. Remarquez, j’ai connu un petit chef qui se targuait de ne jamais en déplier une. Hier, un initiateur s’est approché de moi pendant la montée et m’a demandé gentiment : ‘tu sais où on va ce matin ?’ Incapable de répondre. ‘Tu vois, tu n’as pas préparé ta course’. L’humiliation. Pourtant j’avais mémorisé l’itinéraire que mon téléphone pas con (smartphone) était en train d’enregistrer : j’ai fait pendant cette semaine des progrès incroyables dans le maniement d’Iphigénie, mais oublié, dans l’effort, le nom du vulgaire mamelon que nous n’avons jamais atteint. Le groupe a préféré descendre et remonter la pente qu’il venait de franchir plutôt que continuer un itinéraire trop plat. C’était bien la peine de m’humilier ! Tout à l’heure, pendant le dîner, on fera un tour de table pour évaluer la course de la journée. Pourvu que ça ne me gâche pas cette assiette de gigot. Je préférerais des petits légumes passés à la poêle. Mais avec la réputation de morfals que nous avons, on est bon pour le gratin. Quand le gigot sera sur la table, qui aura la souris ? Le premier qui s’empare de la fourchette, le mâle alpha ? … Donc, tout le monde va dire que c’était bien, alors qu’on n’a pas fait la moitié de la course, vers le col de Prafouchier, sur une neige mouillée affreusement collante. Nous avons botté comme des malades et dû abandonner. C’est vrai que les chefs… non, les initiateurs vont encore dire que ce n’était pas de leur faute. Si tu trouves la journée décevante, tu passes pour un râleur, on t’embarquera pas la prochaine fois. Pour t’inscrire désormais, mieux vaut maitriser Iphigénie, skitourenguru, la CSV et le BERA. Finis les moutons de Panurge, place aux initiés. Le CAF de Papa, c’est terminé. En attendant l’intelligence artificielle qui te guidera vers les cimes sans intervention de quiconque.

Bon, il serait temps que je passe à l’essentiel, que je vous raconte nos exploits : Très beau temps d’abord, moins 15 degrés le premier jour, avant l’installation progressive du redoux. Nous sommes montés au col des Peygus (2600m) par le sud, le premier jour, au col de Chaude Maison (2825m) le lendemain puis la cime de Saurel, jamais atteinte. Ensuite, le sommet ou presque de l’Arpelin par le col Perdu avant un col sans nom et haut perché, pas prévu -c’était bien la peine de m’humilier deux jours avant- avec un vent à dérayer un zèbre (16 km et 1240m de dénivelé) et enfin retour au col des Peygus, monté par la face nord et descendu face sud avant la tentative avortée au col de Prafouchier, le dernier jour. Une honnête moyenne de 1000m par jour mais surtout une formidable récolte d’émotions :la méditation dans laquelle l’effort à la montée nous plonge, l’entraide qui nous rassemble dans les passages délicats, le plaisir de mieux apprivoiser la montagne et trouver la trace pour faire corps avec elle sans la faire gronder, la jubilation, en arrivant au col au soleil, de voir émerger progressivement l’éventail fabuleux des sommets enneigés après une montée à l’ombre d’une pente raide, l’hypnose de matin du monde devant la merveille de cet horizon.

Merde ! j’allais oublier le gigot cuit à point servi par une hôtesse de caractère avec un gratin dauphinois onctueux, de la salade et un pichet de rouge correct. J’ai encore les dents du fond qui baignent quand j’y pense.

Janvier 2024, le CAFteur de service, Snowy Allen


 

Ski de randonnée ou ski alpinisme, si vous rêvez de parcourir les sommets en hiver ski aux pieds, cette activité est pour vous...

Le Club Alpin de Lyon vous propose :

  • Des sorties collectives le week-end ou le mercredi
  • Des cycles de formation
  • Des raids à ski

EN SAVOIR PLUS ...

nos partenaires

Recherche :