Récit du stage d’initiation de 3 jours : Aiguilles d'Arves en mobilité

Le 10.03.2025, par LudivineR-559


Article rédigé par Romain Gerardi

Une soirée de février, nous sommes huit cafistes à être rassemblés à l’étage d’un café lyonnais. Notre objectif est de préparer le stage d’initiation au ski de randonnée de trois jours prévu quelques semaines plus tard. Une carte IGN au 1:25000 dépliée sur la table présente notre terrain d’apprentissage : le massif des Aiguilles d’Arves, situé en Maurienne. Seule contrainte : rejoindre les montagnes en « mobilité douce » dans le cadre du challenge éco-mobilité interclubs 

Vendredi 28 février 2025 

Relever le défi de se déplacer de Lyon jusqu’à la station de Valloire en transports en commun, c’est accepter de voyager dès le palier de sa porte d’appartement franchi. C’est faire du chemin, et non plus seulement de la destination, un voyage en soi.  

Ainsi, ce vendredi matin, nous avons quitté nos foyers les skis et les bâtons accrochés au sac à dos. A pied, en vélo ou en métro, nous avons rejoint la gare Part Dieu chaussés selon les goûts de baskets, espadrilles, Crocs, chaussons d’eau voire – pour deux d’entre nous – directement équipés des chaussures de ski. Les regards amusés des autres voyageurs trahissent notre dégaine de tortue-ninja.  

Figure 1 - Transfert du bus à la navette à Saint-Michel-de-Maurienne 

Un train, puis un bus et une navette plus tard, nous chaussons nos chaussures de ski à l’extrémité de la station de Valloire, en direction du col du Galibier. Il est midi et le soleil tape déjà fort, alors que nous progressons le long de la piste de ski de fond jusqu’à atteindre le hameau de Bonnenuit, où se situe la clé pour quitter la station et gagner les sommets.  

Passé quelques raidillons verglacés, nous nous élevons au-dessus de la forêt. La vue se dégage sur les trois Aiguilles d’Arves. Nous apprenons peu à peu à les nommer et à les identifier : l'aiguille Méridionale, l'aiguille Centrale et l'aiguille Septentrionale, également appelée Tête de Chat, avec ses deux becs (Sud et Nord).  

Figure 2 - En quittant la forêt, les Aiguilles d'Arves apparaissent 

La combe des Aiguilles monte délicatement jusqu’aux Aiguilles qui, accompagnées sur leur partie orientale de l’aiguille de l’Epaisseur, forment un cirque. La neige fondue alimente un torrent – le torrent des Aiguilles – que nous franchissons, avant d’effectuer nos premières conversions. L’odeur du feu de bois annonce l’arrivée prochaine au refuge des Aiguilles d’Arves, qui sera notre camp de base pendant deux jours.  

Le soir, dans la chaleur du poêle, entouré de vêtements et de peaux en train de sécher, nous débriefons la journée avant de préparer la journée du lendemain. Notre encadrante, Ludivine, et notre co-encadrante, Marion, ont la saine culture du compte rendu. Avec elles, tout se briefe et se débriefe. Une démarche réflexive qui permet à chacun d’exprimer ses appréhensions et de tirer collectivement les leçons de l’expérience vécue. 

Figure 3 - Le séchage des peaux au sein du refuge 

Alors que, sous l’effet de la bière, les langues se délient, nous apprivoisons la sacrosainte Cartographie Systémique des Vigilances (CSV) développée par l’alpiniste Paulo Grobelqui a d’ailleurs donné une conférence à ce sujet en décembre dernier. La CSV est une méthode de prévention des risques qui prend en compte les dangers de la montagne en hiver. L’objectif : anticiper les risques pour mieux les gérer.  

En synthèse, la réussite d’une sortie hivernale en montagne dépend – en théorie – de la combinaison de plusieurs paramètres nivologiques (de la bonne neige), météorologiques (du beau temps), physiques (des pentes à – de 30° et bien orientées) et humains. Sur une feuille, tous ces éléments sont rassemblés. Un croquis représente la course envisagée et les points de vigilance associés.  

Après le dîner, nous avons le droit à une véritable leçon de nivologie.  Dans le monde de la neige, nous apprenons à distinguer les flocons de neige sèche (qui, comme la poudreuse, tombent par temps froid et contiennent peu d’eau), des flocons de neige humide (lourde, collante, qui contient de l’eau). Les dendrites, les grains et les gobelets n’ont plus de secrets pour nous ! 

Samedi 1er mars 2025 

Le lendemain, notre objectif est l’aiguille de l’Epaisseur, à 3230 mètres d’altitude. Soit 970 mètres de dénivelé positif depuis le refuge, que nous estimons réaliser en 5 heures aller-retour (pauses comprises). Le Bulletin d’Estimation du Risque d’Avalanche (BERA) est plutôt bon : le risque d’avalanche est limité.  

En pratique, à mesure que nous nous approchons de notre objectif, le temps se voile. La visibilité se réduit. Sur ce qui semble être l’antécime de l’Aiguille de l’Epaisseur, non loin du sommet, nous sommes saisis par le froid et les bourrasques de vent.  

Figure 4 - Extrait de la CSV réalisée pour l'ascension de l'Aiguille de l'Epaisseur 

Il faut choisir : avancer malgré ses risques soudains jusqu’au sommet ou redescendre et se satisfaire du chemin parcouru. Nous décidons d’atteindre un petit replat avant de finalement nous équiper pour redescendre. Il fait -10°C et le vent rend le dépeautage difficile. Les filets des peaux menacent de s’envoler. 

Figure 5 - Dépeautage dans le vent, près de l'Aiguille de l'Epaisseur 

Leçon : évoluer en montagne, c’est également savoir renoncer. C’est accepter que la réalité du terrain s’impose, en dépit de l’objectif préalablement fixé et des précautions prises grâce à la CSV. Durant tout le séjour, nous évoluons au sein de cette dialectique de la théorie et de la pratique, multipliant les allers-retours entre l’anticipation (théorique) et l’adaptation (pratique). 

Dimanche 3 mars 2025 

Nous nous levons le dimanche, notre dernière journée de stage, prêts à restituer l’ensemble des enseignements de nos deux premières journées. L’objectif du jour est le col de Petit Jean (3065 m.), à l’Est des Aiguilles d’Arves. Le ciel est d’un bleu perçant, le soleil est radieux et il n’y a pas un souffle de vent.  


Figure 6 - Extrait de la CSV réalisée pour l'ascension du Col de Petit Jean 

Notre encadrante et notre co-encadrante nous laissent faire la trace. A chacun son style. Aux diesel, les belles et régulières conversions. Aux adeptes de l’azimut « brutal », des traces droites vers le sommet. Quel que soit sa préférence, tracer le premier, c’est s’adapter au groupe et non l’inverse.  

Dans la montée et le silence du cirque des Aiguilles, nous apercevons parfois des skieurs descendre des couloirs qui apparaissent imprenables. Un skieur solitaire avale ainsi la combe presque verticale de la Pointe Salvador. D’autres skieurs descendent depuis le col des Aiguilles.